Le Progressiste

 

Organe hebdomadaire du PPM fondé par Aimé CESAIRE

 

Édition du Mercredi 1er mai 2019 – N°2532

 

"La chance de la Martinique, c’est le travail des Martiniquais"

 

Aimé CÉSAIRE

 

 

 

 

 

 

 

« FIERTÉS DE FEMME NOIRE »

 

de Philippe GROLLEMUND

 

 

Publié chez L’Harmattan en décembre 2018, cet ouvrage de 200 pages retrace toute une série d’entretiens tenus dans les années 1975-1976 avec la grande dame noire des Lettres et de la Musique Paulette NARDAL, celle qui fut surnommée « la marraine de la Négritude » par - contrairement à certaines allégations - l’écrivain martiniquais Joseph ZOBEL. Elle avait alors près de 80 ans (elle est décédée à Fort de France en février 1985 à l’âge de 89 ans).

 

Philippe GROLLEMUND, jeune fonctionnaire « métropolitain » (neveu de l’ancien préfet Michel GROLLEMUND) a connu Paulette NARDAL en intégrant, en 1972, sa chorale « Joie de Chanter », qui, répétait alors une fois par semaine, le dimanche matin, dans son salon du 83 de la rue Schoelcher à Fort-de-France.

 

Ces « entretiens mémoriels » sont caractérisés ainsi par l’auteur : « Ces propos et souvenirs démontraient une grande curiosité intellectuelle, de l’humour, des convictions très affirmées, surtout pour tout ce qui touchait à sa fierté de femme noire ».

 

Or, « Tante Paulette » (comme la dénommaient affectueusement ses choristes de l’époque) n’accordait que rarement des interviews ; comme celle accordée à Paulo ROSINE, alors pianiste accompagnateur de la chorale « Joie de Chanter ».

 

Indépendante, se forgeant une personnalité propre au fur et à mesure de ses études et de ses rencontres, la jeune étudiante martiniquaise analyse avec justesse sa condition d’antillaise déracinée :

 

« Nous étions étudiantes [ses sœurs et elle] complètement assimilées (…) C’est en France que j’ai pris conscience de ma différence. Il y a certaines choses qui me l’ont fait sentir, et puis il ne faut pas oublier que nous avons été élevées dans l’admiration de toutes les oeuvres produites par les Occidentaux. Ce qui nous ramenait à presque rien ».

 

 

 

Et la Négritude, dans tout cela ?

 

 

Elle se confondit quelque peu, pour Paulette, avec le combat incessant pour l’émancipation des femmes, ce qui lui fit emprunter une route différente de celle des Hérauts de cette grande idée, CÉSAIRE et SENGHOR. Écoutons-la en parler : « Ne pas commettre l’erreur de nous considérer comme les militantes d’un quelconque parti politique. Nous avons seulement ressenti très vivement la nécessité de ‘’faire entrer l’homme noir dans la communion des humains et de lui enlever ses complexes, du moins à l’homme antillais’’ » comme l’écrivit sa soeur Jane NARDAL.

 

Cette obsession en faveur de la reconnaissance de l’apport des Noirs du monde aux civilisations est omniprésente dans ces confidences intimes, sans jamais verser dans quelque « négrisme » que ce soit :

 

« Faut-il voir dans les tendances que nous exprimons ici une implicite déclaration de guerre à la culture latine et au monde blanc en général ?

 

C’est une équivoque que nous nous en voudrions de ne pas dissiper. Nous avons pleinement conscience de ce que nous devons à la culture blanche et nous n’avons nullement l’intention de l’abandonner pour favoriser je ne sais quel retour à l’obscurantisme.

 

Sans elle, nous n’eussions pas pris conscience de ce que nous sommes. Mais nous entendons dépasser le cadre de cette culture pour chercher à l’aide des savants de race blanche et de tous les amis des Noirs, à redonner à nos congénères la fierté d’appartenir à une race dont la civilisation est peut-être la plus ancienne du monde ».(suite page 20)

 

 

 

(suite de la page 15 )

 

Paulette NARDAL

 

La deuxième passion de Paulette NARDAL a été le chant choral, appréhendé lors de ses séjours aux Etats-Unis où elle découvrit les chants nègres des negro spirituals.

 

En témoigne la prestation de la Chorale « Joie de Chanter » en 1976 à Fonds Saint-Jacques, en présence du président du Sénégal Léopold SEDAR SENGHOR.

 

« C’est pourquoi - écrit Philippe GROLLEMENUD - depuis plus de vingt ans [la chorale a été fondée en février 1954] la chorale égrène les Negro Spirituals et polit quelques joyaux de la musique martiniquaise, ayant conscience, avec Paulette NARDAL, d’apporter leur propre ‘’contribution au développement de la Négritude’’ ».

 

Ajoutons in fine que Philippe GROLLEMUND lui-même a composé en l’honneur de Paulette une pièce résolument moderne pour chœurs interprétée par la Chorale, intitulée «Fam ta la ».

 

Daniel COMPÈRE